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©Brussels Film Festival

Pascal Rabaté est un réalisateur mais également un auteur de bandes dessinées. Venu tout droit de l’hexagone, il venait nous présenter son nouveau film « Ni à vendre, Ni à louer » au Brussels Film Festival.

C’est un homme éminemment humain et sympathique que nous avons rencontré pour vous. Il nous parle de son film mais aussi de ce qui lui tient à coeur.

Pascal Rabaté, étant donné que nous sommes un webzine, que représente le web pour vous ? Quelle en est votre utilisation?

Moi je suis un geek, mais un geek de l’achat. C’est-à-dire que j’ai découvert l’achat par internet et depuis c’est une catastrophe. Là dedans, je fous en l’air la moitié de l’argent du ménage en achetant des vinyles aux USA ou au Japon, et je cause même pas des achats de planches de BD. Je n’ai que cette utilité, et surtout je pense qu’en bon fainéant… ça touche quand même beaucoup à l’autisme. Plutôt que d’aller acheter un journal, j’essaie d’aller voir un peu les infos sur le net.

C’est un outil d’information et de recherche mais c’est aussi quelque chose de mauvais car je vais beaucoup moins chez le bouquiniste.

Est-ce aussi un outil de promotion pour vous?

Bien sûr, cela devient une vitrine incontournable. Il y a des gens qui achètent des journaux papiers mais même ceux-ci finissent par avoir des sites web. J’ai l’impression que c’est devenu la première source d’infos. Si on veut quelque chose sur un domaine précis, on y va.

Je suis fasciné par le côté rhizomique du net. Etant personnellement très en recherche de musique, vous allez faire votre recherche via un artiste qui vous renvoie vers un autre et celui-là vers un troisième. Ce côté rhizo est fabuleux, surtout qu’il y a des outils comme Youtube et Deezer. Vous vous dites : «Tiens, ce jazzman-là me renvoie à untel, qui c’est ce type ?». Et voilà, vous écoutez des morceaux dont vous ne soupçonniez pas l’existence deux minutes avant et vous vous dites : «ça c’est super!». Il y a une sorte de culture qui se fait par ces outils, une culture un peu billard en trois, quatre ou cinq bandes. Je passe énormément de temps sur le net, je peux y passer minimum deux heures par jour. Ca a révolutionné les échanges.

Le net permet d’archiver et d’avoir une sorte de mémoire. Je dis ça parce que j’ai 3000 mails en attentes et je me dis que j’y répondrai un jour. Pour moi, c’est un outil vital.

Même en tant qu’auteur, ça a révolutionné les rapports que l’on a avec les éditeurs. Dans ce domaine, il y a des métiers qui ont disparu. Le métier de photograveur par exemple, ça n’existe plus, maintenant les gens scannent eux-mêmes leurs planches et les envoient par FTP via internet. Sur FTP, vous chargez une image de 30 à 40 mégas, vous la postez sur une adresse et la personne qui a le code va la rechercher.

Votre film «Ni à Vendre, Ni à Louer», que vous avez présenté au Brussels Film Festival, peut-il être considéré comme un OVNI par rapport aux autres films présentés? C’est une forme de cinéma qu’on n’a pas l’habitude de voir. Pourquoi ce choix du muet?

(Pascal nous reprend avec humour) Un OCNI, un objet cinématographique non identifié.

Tout d’abord par envie de faire un hommage au cinéma qui m’avait marqué quand j’étais plus jeune. J’avais envie de voir si on pouvait faire une version un petit peu plus moderne. Je disais d’ailleurs au producteur que j’avais envie de faire un film comme une sorte d’hommage à Jacques Tati. De plus, je voulais vraiment essayer de revenir aux sources du langage du corps sans en faire des tonnes. Me dire que la communication pouvait se faire très calmement, sans faire de grands gestes, par un travail des regards. Ca a mis du temps à se caler parce qu’on pense toujours, à tort, qu’en supprimant un sens, il va falloir compenser à l’image. Mais non, quand vous supprimez un sens, vous supprimez une zone d’information. A partir du moment où vous l’enlevez, il vous reste les corps. Mais si les corps bougent de trop, vous ne voyez plus que les mouvements sans voir ce qu’ils veulent dire.

Au bout d’une journée de tournage, j’ai tout recadré en me disant : «Mes amis, on va essayer de jouer la partition sur un registre beaucoup plus pudique». J’aime pas le terme économique car cela veut dire que les gens ne font rien, c’est plutôt une question de pudeur, de sentiments, de pudeur d’expression.

Par exemple, dans une scène, Charles (Schneider) a une multitude de petits regards expressifs. C’est énorme parce que, comme vous n’avez pas le son qui va vous empêcher de les regarder, vous aller choper tous ses regards. Jacques (Gamblin) et Maria (de Medeiros) ont aussi fait cela par leurs regards l’un envers l’autre, leurs respirations,… Une respiration toute seule, c’est quelque chose de magnifique.

C’est un peu de la chorégraphie. Tout le monde me parle de Tati, à juste titre, maintenant il n’y a pas que lui qui ait servi de modèle, il y a aussi Jacques Demi. Lorsque j’ai fait ce film, j’ai beaucoup pensé à lui, pour le code coloré. Dans «Les demoiselles de Rochefort», il y a ce travail sur la couleur, extrêmement beau, coloré et marquant. En pensant à cela, je me suis dit qu’on allait essayer de neutraliser les fonds mais que toutes mes histoires ressortiraient par points colorés, par masses.

Les déplacements, c’était en effet de la chorégraphie. On gérait d’abord les déplacements des acteurs. Par exemple, le croisement du couple «Jacques Gamblin et Stéphanie Pillonca» et du couple «Maria de Medeiros et François Damiens» au dernier plan. On a mis un bout de temps à le caler car lorsque les acteurs venaient ensemble et que nous reculions, il y avait tout à coup ce qu’on appelle des commandes, c’est à dire un acteur qui cache un autre et qui fait un blanc. Donc, c’était de la chorégraphie sur les déplacements de corps, il fallait qu’il y ait cette mécanique, qu’ils arrivent en même temps, gérer les entrées de champ, les sorties de champ. on était dans l’ordre de la danse.

Fait comique, au final, ils ont réussi à faire un super plan, pas de commande, jeu parfait et puis là, en arrière-plan, il y a un chien qui traverse et qui s’arrête sous le panneau «interdit aux chiens». Là, j’ai eu une ligne de chance qui a été tracée à la tronçonneuse.

Techniquement parlant, Maria et Jacques ce sont les lunaires, les purs, les naïfs de ces deux couples. En même temps, il y a avait entre eux quelque chose de l’ordre de la timidité. Le manque de verbe, de regards, ils n’osent pas se regarder nus. Ils sont nus mais ils ont plus peur de regarder l’autre qu’autre chose et du regard de l’autre sur soi. Décrire les sentiments d’un amour naissant à travers la pudeur. C’était vraiment faire des entrées de champs, ce sont deux voitures qui se rentrent dedans. Faire un film pas toujours symétrique mais surtout quadrillé.

Vous êtes avant tout auteur de BD. Dans les nouveaux ouvrages, les décors ont de plus en plus d’importances. Dans votre film, en arrière plan, il y a beaucoup de choses, des éléments très importants, des éléments humoristiques. Doit-on chercher dans vos décors l’auteur de bandes dessinées?

Je ne pense pas que ce soit un truc de la bande dessinée. Je pense que lorsqu’on travaille sur des plans fixes, il est important de faire en sorte que les plans soient riches. j’avais envie de faire quelque chose où les gens puissent avoir une deuxième lecture. Par exemple, les gens ne voient pas que la tempête a, en effet, couché la caravane et la voiture mais a aussi couché les boites aux lettres. Il y a des bêtises comme ça qui me venaient sur place et, contrairement à la phrase de Michel Audiard qui disait : «Les cons on les reconnait au fait qu’ils osent tout», moi je pense que c’est plutôt l’inverse, ce sont les poètes qui osent tout.

Le but n’étant pas de faire un film naturaliste, il y a des choses qui ne sont pas réalistes mais ce n’est pas grave, comme de faire voler la voiture. Nous sommes dans une parabole, une fable et donc, pour moi, chaque plan devait être un peu une fête.

Le juste milieu était de laisser aux gens le temps de vagabonder dans les plans et puis de trouver la juste coupe pour que ça ne devienne pas ennuyeux. Ceci dit, il est beaucoup plus rythmé que mon film précédent («Les petits ruisseaux»).

En reparlant de mes bêtises, il y en a partout. Je pense que personne ne voit que sur la boite aux lettres verticale il est marqué «De la pub svp, pour lire». J’en ai mis partout. Il y a une affiche du précédent film où il est marqué «De la même équipe». Il y a une tapette à souris derrière la canette de bière et pourtant, il y a plein de gens qui ne la voient pas. J’avais envie de faire quelque chose de riche et généreux, en faisant confiance aux spectateurs. Quand le serveur sert le vin blanc, il ne goutte pas mais il picole tout. Sur un arbuste, les feuilles sont recollées au scotch. C’est mettre des conneries partout, pas pour en mettre gratuitement mais pour donner du sens aux plans. Autre exemple, dans la scène du restaurant, il y a trois tables occupées et le mec n’a même pas le courage d’enlever les chaises des tables non occupées, ça signifie quelque chose mais beaucoup de gens passent à côté. Le musicien du film m’a dit que même après avoir vu le film quatre fois, il retrouve encore des conneries. Bon, je vais pas vous donner un lexique non plus mais on s’est amusé sur tous les plans. Si le spectateur passe à côté, c’est pas très grave, c’est un détail. Maintenant s’il va le chercher tant mieux. C’est une espèce de complicité que tu installes en mettant des petits bouts d’éléments, un peu comme dans les livres «Où est Charly?». Fallait pas non plus qu’il y ait une surcharge de choses mais il fallait qu’il y ait des gags et des éléments qui donnent un sens. Il faut que le fond soit primordial et après, on essaie de trouver des éléments qui vont amener un supplément, une petite couleur. Avez-vous vu le type, quand ils sortent le cercueil, qui fait des manoeuvres comme à une voiture? J’ai hésité à faire un plan plus serré puis je me suis dit non.

Vous avez, comme dans «Les petits ruisseaux», tourné des scènes où les acteurs sont nus. Comment ont réagi Maria De Medeiros et Jacques Gamblin lorsque vous leur avez proposé cela? Ont-ils accepté tout de suite?

Ils m’ont tous dit que ce n’étaient pas des scènes faciles. Mais je leur ai dit qu’il y aurait un cache et qui allait, d’ailleurs, servir l’histoire. Sur le Story Board, ils m’ont dit que la scène était drôle mais m’ont demandé de trouver un trucage comme un slip couleur chair. J’ai dit qu’on trouvera ça mais que, de toute manière, les sexes seront cachés par une barre plus ou moins grande selon les salaires (rires). Non , j’ai dit qu’ils seraient cachés dans l’intérêt de l’histoire et, en plus, j’avais pas envie de me taper une interdiction de moins de 16 ans. Mais rassurez-vous, on essaie quand même de trouver un système, un truc qui colle un peu à la peau. Une fois sur le plateau, il n’y a plus eu de soucis.

Vous êtes un adepte du surréalisme, vous êtes auteur de BD, vous avez employé pas mal d’acteurs belges dans votre film. Ne vous êtes-vous pas trompé de pays de naissance?

C’est possible. Je me sens très proche de la culture belge. J’ai déjà discuté de cela avec Benoît Delépine («Louise-Michel») et Gustave Kervern («Mammuth») qui se sentent un peu belges aussi.

En Belgique, et il n’y a rien de péjoratif car je me situe là dedans, je ne retrouve pas de second degré dans les films de Bouli Lanners et de Jacquot Van Dormael. C’est quelque chose que je trouve extraordinaire. Je ne supporte pas le second degré, la position un peu déiste de regarder les gens de haut et de se moquer d’eux. On est à la hauteur des personnages. C’était la différence entre les «strip-tease» (Ndlr : émissions télévisées des années 80-90 basées sur des faits de société) belges et français. En France, il y avait toujours une condescendance ou un sourire narquois. En Belgique, il y avait seulement un portrait de gens qui portait à rigoler mais qui n’était pas un jugement ou une condamnation. En France, on est une culture un peu littéraire avec Diderot, Descartes et tout le reste, ça devient un fléau. Je ne supporte pas cet esprit second degré où on est dans la dérision et pas dans l’humour.

Quelqu’un comme Alex van Warmerdam en Hollande, c’est quelqu’un que j’adore. Ce sont des gens qui ont cette distance et ne porte pas de jugement.

Je travaille pour le moment sur un projet -mon prochain film- et quand je raconte le pitch, ça fait rire les français mais c’est un drame. C’est l’histoire d’un père qui, par amour pour sa fille, accepte de participer à Interville. Tout le monde se marre, mais c’est un drame.

Peut-être parce que Interville fait ringard?

Parce que Interville fait ringard. Parce que, en France, vous allez filmer des majorettes et tout le monde va s’esclaffer de rire. J’ai plus d’empathie pour ces gamines qui vont défiler dans la rue dans un costume ridicule, au moins c’est un geste gratuit. Je trouve ça beaucoup plus sympathique et plus honnête que de se retrouver dans des émissions à la con en France comme Star Academy où quand les gamins se vautrent, on les passe en boucle en disant «haha, c’est les foirés de la semaine». C’est un état d’humour qui me débecte, l’humour de gens qui se croient au-dessus de tout. En l’occurrence, je ne retrouve pas ça dans le cinéma belge, notamment dans le cinéma de Bouli Lanners qui est quelqu’un dont je me sens assez proche. J’ai adoré les deux premiers films et j’attends avec hâte le prochain. Jacquot Van Dormael aussi. J’ai pas encore vu complètement «Mr Nobody», mais, dans ses films précédents, il y avait quelque chose qui était de l’ordre du non mépris. Filmer Michel Bouquet, vieillard, qui se lève et qui va pisser dans le lavabo, c’est fait sans cynisme.

En effet, j’ai plus de sympathie pour le film «Quand la mer monte…», de Yolande Moreau, où l’on parle des gens simples, des gens qui font des marionnettes. Alors là, évidemment, ça peut faire glousser à Paris mais elle en parle sans mépris et puis, si ça fait rire quelques connards, ben tant pis pour eux. En attendant, elle a filmé les choses à sa hauteur et à la hauteur des personnages qu’elle filmait. C’est vrai que c’est la culture populaire qui me touche et j’ai envie d’en être le peintre sans verser dans la caricature.

Cela dit, je ne sais pas s’il y a aussi du cynisme en Belgique.

Vous avez, dans votre casting, beaucoup d’acteurs qui ont joué dans «Dikkenek»? Ce film vous a-t-il inspiré?

Non, il ne m’a pas inspiré. Il se trouve que j’ai découvert ce film longtemps après sa sortie et en effet, il y a quelques acteurs assez terribles et le film est extrêmement drôle. C’est là que j’ai découvert François Damiens et Jean-Luc Couchard. François a un grand charisme donc on était très content de l’avoir. C’est vrai que dans «Dikkenek», il y avait également Marie Kremer, Dominique Pinon, etc… Mais c’est un pur hasard, on s’est retrouvé à coucher des noms et puis, tout à coup, François Damiens a fait remarquer qu’il s’agissait de la même équipe. C’est un film que j’avais bien aimé, qui est très drôle et hors cadre.

Quels sont vos futurs projets?

Je rêve d’adapter «Ibicus». Il s’agit d’une BD que j’ai réalisé entre 1998 et 2001, qui est une BD de 550 pages et qui est une adaptation d’un bouquin d’Alexis Tolstoï sur la révolution russe. Là, c’est une autre crémerie. Je passe de la petite supérette à Auchan.

Pascal Rabaté, nous vous remercions du temps et de la sincérité avec lesquels vous avez répondu à nos questions et nous vous souhaitons beaucoup de succès.

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