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Portrait


Emile ZOLA

Né à Paris en 1840 et mort en 1902, Emile Zola est considéré comme le chef de file du naturalisme. Ses romans sont étudiés et traduits dans le monde entier et de nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles ont été réalisées à partir de ses romans.

Faisons connaissance avec l’homme, ses personnages et son œuvre.

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Bonjour Mr Zola, pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

Bonjour. Oui, je le peux. Je m’appelle Emile Zola, je suis né le 2 avril 1840 à Paris. Mon père, François, était ingénieur des travaux publics. On a déménagé dans le Sud de la France, suite à son travail. Il s’occupait de la construction d’un barrage d’eau potable à Aix-en-Provence. A sa mort, une pneumonie, ma mère s’est occupée de moi avec l’aide de sa propre mère. Nous sommes rentrés à Paris. Ce n’était pas facile pour ma mère de devoir s’occuper d’un orphelin de père. Elle m’a appris beaucoup et je me suis beaucoup servi de ses apprentissages dans mes oeuvres et même dans ma vie quotidienne.

La famille a une place importante dans votre vie. Vous avez consacré plus de vingt ans de votre vie à la réalisation des Rougon-Macquart. Qu’avez-vous cherché à démontrer ?

Je ne sais pas si j’ai réussi à démontrer quelque chose mais en tout cas, j’ai toujours été beaucoup intéressé par tout ce qui était lié à l’hérédité, à la transmission. J’ai construit les Rougon au fur et à mesure, en rajoutant, en enlevant des personnages. J’ai établi un arbre généalogique. Chaque livre de la série porte sur un personnage en particulier. On y voit sa vie, ses réflexions, ses hauts et ses bas. C’est une sorte de jeu de piste. Les 20 volumes des Rougon-Macquart montrent une famille, la société française de façon plus générale, sous le second Empire. Par exemple, en 1877, « l’Assommoir » a été publié, on y retrouvait Gervaise. Dans « Germinal », paru en 1885, on y retrouve Etienne Lantier, le fils aîné de Gervaise. Les choses se suivent.

Comment faites-vous pour ne pas vous y perdre ?

Je suis très ordonné. J’ai une méthode de travail. Ma façon de procéder est toujours celle-ci : d’abord je me renseigne par moi-même, par ce que j’ai vu et entendu. Ensuite, je me renseigne par les documents écrits, les livres sur la matière, les notes que me donnent mes amis ; et enfin l’imagination, l’intuition plutôt, fait le reste. Cette part de l’intuition est chez moi très grande, plus grande, je crois. Comme le disait Flaubert, prendre des notes, c’est être simplement honnête ; mais les notes prises, il faut savoir les mépriser.

Vous venez de parler de Flaubert. Est-ce un ami ? En avez-vous d’autres ?

Bien sûr. J’ai rencontré Manet et sa peinture et j’en suis resté très proche. Il m’a également permis de rencontrer Stéphane Mallarmé, Camille Pissarro, Auguste Renoir et bien d’autres. Il y a aussi Paul Cézanne, avec qui j’ai été à l’école. On s’est beaucoup entraidé pendant les périodes difficiles. Puis nos chemins se sont quittés après la parution de « L’œuvre ». Je pense qu’il s’est reconnu dans le personnage du peintre raté Claude Lantier et qu’il n’a pas apprécié.

Et il y a les soirées de Médan également. On se retrouvait, dans une de mes propriétés, avec Maupassant, Paul Alexis, Joris-Karl Huysmans, Léon Hennique et Henri Céard. On refaisait le monde à notre façon.

Parliez-vous de ce nouveau courant dont vous avez été l’instigateur ? Le naturalisme ?

Oui, bien sûr on en parlait. De ça et d’autres choses. Ah ! Le naturalisme. Je me reconnaissais déjà dans le mouvement des Réalistes mais il me manquait une certaine dimension. On ne parlait pas assez de l’influence du milieu sur les protagonistes. Je me devais de placer les personnages dans une histoire particulière et de mettre en évidence l’enchaînement des causes. Je devenais en quelque sorte, un expérimentateur et je devais donc suivre une méthode scientifique. Les sciences naturelles m’ont aidé à faire ce travail, à conserver cette logique des faits. Et puis, il était temps de faire changer un peu les choses.

Faire changer les choses ! Comme vous l’avez fait dans l’affaire Dreyfus ?

L’affaire Dreyfus m’a mis en colère, m’a révolté. Je ne m’étais jamais engagé politiquement avant cet événement. Je suis bien républicain mais je n’ai jamais pu me faire des amis en politique. Cette affaire était un scandale. Je me devais de me battre contre cette erreur judiciaire et contre cet antisémitisme. On reprochait à Alfred Dreyfus d’avoir livré des documents officiels et secrets à l’Empire allemand. Ce n’était que foutaise. J’ai pu, grâce au journal « l’Aurore », me lever, me révolter et m’indigner contre ces décisions de justice. J’ai rédigé un article, « J’accuse », montrant à quel point j’étais en colère. Cet article m’a valu de partir en exil pendant 11 mois à Londres, mais j’étais convaincu de son innocence.

Comment imaginez-vous votre mort ?

Je souhaiterais mourir à Paris à 62 ans. J’aimerais que ma mort reste un mystère, que l’on ne sache pas si c’est un accident ou si c’est un meurtre. Je me verrais bien mourir à cause d’un feu de cheminée. Je serais asphyxié. On se demandera toujours s’il y a un lien avec l’affaire Dreyfus. C’est une fin que je pourrais choisir.

Bibliographie sélective

1867 : Thérèse Raquin

1871 : La Fortune des Rougon

1873 : Le Ventre de Paris

1877 : L’Assommoir

1880 : Le Roman expérimental

1885 : Germinal

1886 : L’Oeuvre

1890 : La Bête humaine

1893 : Le Docteur Pascal

Propos recueillis par Caroline Champion

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Quelques mots d’abord sur notre « héros », Etienne Lantier. Personnage du roman « Germinal », Etienne est avant tout un maillon de la famille Maquart. Alors qu’il est central dans « Germinal », son concurrent amoureux, Chaval, personnage cruel, dur et antipathique, a plus marqué les esprits et un peu mis Etienne sur le côté. Il faut reconnaître aussi que les combats de Lantier sont plus philosophiques que physiques et que son caractère le porte à la discrétion. C’est ainsi qu’ailleurs qu’il s’éloigne du Voreux, le puits de grande fosse du Charbonnage, sans se retourner, comme il est arrivé, dans l’indifférence quasi générale.

Etienne Lantier, dites-nous en un peu plus sur vous ?

J’suis Parisien, enfin ma mère Gervaise est montée avec mon père sur Paris. J’viens d’une famille simple, ma mère est blanchisseuse, mon père, un gros profiteur qui vit des largesses des femmes. Dans ma famille, on est souvent héros dans un roman : maman dans « L’assommoir », Claude mon frère dans  « L’oeuvre », Anna – ma demi-soeur dite Nana – dans « Nana », ma tata dans « Le ventre de Paris ». En fait, on est tous des enfants de M’sieur Zola, des Rougon-Macquart.

Personnellement, je suis fort présent dans « Germinal », même si ce monstre de Chaval a plus marqué les esprits que moi.

Et bien quelle famille !

J’t’fais pas dire, pardieu. Mais hein, bon, y a pas toujours de quoi être fier d’être le fils d’une pocharde à l’absinthe, morte de faim, et d’un gigolo… Et au final, j’ai bien failli y laisser ma peau avec mon briquet, dans les mines de charbon !

Dans les mines de charbon !! Mais qu’êtes-vous allé faire dans cette galère ?

Gagner ma croûte, pardi. Mais cela a mal tourné : les mineurs étaient exploités et j’ai essayé de leur faire comprendre qu’ils avaient des droits. Le socialisme et le syndicalisme, c’était trop tôt. Ils ont brisé la grève, repris le travail et le grisou a fait le reste. On est resté des semaines sous terre et sans la solidarité sans faille des mineurs, je serai resté au fond.

Et avec tout cela, il y a de quoi en faire plus que des livres.

Oui, oui des films, il paraît, deux avec mon personnage mais je préfère qu’on retienne le chanteur Renaud dans ma peau… En plus, lui les démons intérieurs, il connaît, c’est un homme du peuple. Nana aussi, à la télé avec Véronique Genest et au cinéma… Mais toute la famille est photogénique : même Gabin dans « La bête humaine » interprète mon frère Jacques (encore Jean Renoir à la réalisation, comme une version de « Nana »)…

Mais pourquoi une telle célébrité ?

Va savoir… Probablement parce qu’à l’époque de M’sieur Zola, on parlait pas des p’tites gens. Parce que, après tout, on est l’exemple d’une famille qui a tout raté à cause de l’alcool, de la misère, de la faim alors qu’on avait ce qu’il fallait (du courage à revendre, des idées et des idéaux).

Mais va pas t’faire des idées, gamin, de nos jours, on n’est plus à la mode que dans les lycées… Encore que peut-être qu’on finira par chanter aussi comme Gavroche, dans une comédie musicale !

Moi, je profite, suis parti vivre à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, il n’y avait plus d’avenir pour moi en métropole. Alors à plus !

Propos recueillis par Véronique De Laet

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Nana

Emile Zola écrit « Nana » en 1880. Ce neuvième opus de la série « Les Rougon-Macquart », qui en compte vingt, nous plonge dans le Paris du Second Empire et s’ouvre sur une soirée à l’Opéra. Comme à son habitude, Zola se fait le peintre d’une époque. Il nous plonge dans cette société parisienne, bourgeoise, avec ses travers et ses habitudes. Nana, le personnage principal, n’apparaît pas tout de suite mais l’attente qu’elle suscite auprès des hommes nous fait percevoir le personnage qu’elle représente. Ce sont les bruits de couloir qui introduisent le personnage de Nana. Les hommes la désirent, les femmes ne l’apprécient pas beaucoup. Courtisane, pour ne pas dire prostituée, Nana joue le rôle principal d’une comédie musicale. Elle ne sait pas chanter, mais son physique et sa gouaille la projettent au premier rang. Cette femme, que tous les hommes désirent mais qu’aucun ne reconnaît ouvertement, est une femme-objet. Elle croit dominer l’homme mais n’est en fait qu’un objet de délices. Ce statut ambigu lui vaudra de côtoyer le « beau monde » parisien mais aussi ses côtés les plus obscurs et nauséabonds. Dominante mais aussi dominée, Nana est le moyen par lequel Zola nous décrit la société parisienne des années 1860, cette société repliée sur elle-même, avide de plaisirs et de divertissements. On sent l’intention d’Emile Zola d’être un chroniqueur de son époque, de partager son opinion sur cette société qu’il n’aime pas. Zola n’aimait pas beaucoup non plus les femmes comme Nana. Mais son talent d’écrivain nous la rend sympathique, excusable, presque, dans sa bêtise et dans ses actes. Nana est une princesse des bas quartiers, un peu bête, sans aucun autre talent que de jouer de ses charmes. Elle est belle, sensuelle, attirante. C’est aussi une mère qui ne voit pas son enfant, laissé à la garde d’une nourrice qui lui réclame l’argent qu’elle n’a pas pour le lui rendre. Entretenue par les hommes, elle ne compte que quelques amis proches, une tante, une bonne et quelques rares personnes de confiance. Acclamée au théâtre, sollicitée de toutes parts, Nana n’est rien d’autre, en définitive, qu’une fille née dans la misère qui vend ses charmes pour vivre autre chose, peut-être venger sa mère, Gervaise, morte dans une misère sans nom, de l’autre côté de cette société française de la fin du 19ème siècle. Sa fin tragique clôture l’histoire de cette Rougon-Macquart, sortie de la misère mais ne pouvant jamais accéder vraiment à autre chose. La naissance est importante dans cette France-là.

Aurélie Dops

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Au bonheur des Dames

Dans la série des Rougon-Macquart, le onzième volume prend une place un peu particulière, à l’instar de « Germinal ». Explication en fin de texte.

L’histoire est simple : une jeune provinciale, Denise Baudu, orpheline, monte à Paris avec ses deux frères plus jeunes dans le but de travailler dans la boutique de son oncle. Face à ce petit commerce traditionnel, un supermarché « Au bonheur des Dames » a ouvert grand ses portes et propose mille et un colifichets et autres produits, attirant les foules et vidant les commerces existants.

Denise, sans emploi, décide malgré la pression familiale, de se faire engager dans la grande surface. Hélas pour elle, ses allures provinciales lui valent des médisances, des méchancetés et alors que le salaire est basé sur un pourcentage des ventes, les autres vendeuses font front et ne lui laissent rien. De plus, sa grande naïveté amoureuse lui fait prendre les belles manières d’un collègue pour un intérêt sentimental. De tout cela est témoin, Octave Mouret, le propriétaire du « Bonheur des Dames ».

Une cabale de jalousies pousse le personnel à faire mettre Denise à la porte. Elle survit, vaille que vaille, alors que Mouret comprend vite que les compétences et les idées de Denise sont celles qu’il a besoin pour progresser… mais ni l’un ni l’autre n’y voit plus qu’une collaboration, au début.

Pour faire court, la fin est étrangement heureuse et personne ne part… Or cette image de fuite est récurrente dans les Rougon-Macquart.

On sait que Zola s’est inspiré du « Bon Marché » d’Aristide Boucicaut. Il a même demandé à y être invité et s’est fait tout expliquer. Quand il parle donc « chiffons », il garde en permanence à l’esprit cette visite qui a du l’impressionner. Tout au long du roman, on sent sa fascination et sa description de ce magasin, entre monstre et miracle. Des portes d’entrée qu’il décrit quasi comme une bouche avale la nourriture, du bruit d’une ruche à l’intérieur où vendeuses et acheteuses dansent un ballet semblable à celui des butineuses, de la description de la boutique traditionnelle qui semble être écrasée même par l’ombre de l’immeuble, tout a un côté magique et terrifiant à la fois.

Zola reste encore une fois et un reporter d’une situation qui évolue dans un Second Empire où la technique et le gigantisme font une percée et aussi un chroniqueur de la France profonde car si Denise s’adapte à Paris, elle reste une femme qui revendique sa simplicité et ses valeurs « non marchandables ».

Zola ici aussi joue le rôle de chroniqueur social mais soutient aussi une forme de progrès : le travail des femmes (mais dans beaucoup de « Rougon », de Nana, à Gervaise la blanchisseuse, de Catherine, la petite mineure de fond, Zola décrit les femmes comme des maillons forts et progressistes, même si elles sont victimes de l’organisation de la société) qui sont « libres » financièrement mais aussi leur vie amoureuse (les vendeuses conseillent à Denise de se faire entretenir par un amant et tout au long du roman, on parle aussi bien des amants de ces dames que des dames payées par Mouret pour l’illusion de l’amour) et leurs propos pas toujours « soumis » (Denise est assez culottée plusieurs fois dans le roman, elle est le point de contrôle de beaucoup de choses et finalement, peut-être l’héroïne la plus maîtresse de sa vie dans toute la série).

Mais dans ce « Bonheur des dames », plus que dans d’autres romans de la saga, le mélange social est flagrant puisque les femmes pauvres et humbles sont au service direct des femmes riches et arrogantes (alors que dans d’autres volumes, même Gervaise la blanchisseuse, si elle travaillait pour « la Haute », elle gardait sa fierté car le contraste entre les deux mondes était moins comparable qu’ici où les belles étoffes font briller les yeux des vendeuses qui n’auront jamais les moyens de se les offrir. Elles vendent un monde de rêve qui n’est pas le leur).

Il y a aussi une petite lecture, peut-être contestable, à faire sur le titre. A savoir que Mouret, le propriétaire du supermarché, était amateur de plaisirs rémunérés, de dames de petite vertu, qui trouvaient dans ce donateur « leur bonheur de dames ». Vulgairement, « avoir de quoi faire le bonheur des dames » est une allusion franchement sexuelle.

Pour finir, un peu d’éclaircissement sur le fait que « Au bonheur des Dames » est à Zola un peu spécial comme « Germinal ». L’un comme l’autre traite non d’un portrait de société statique (l’alcoolisme, la recherche de la notoriété…) mais d’un phénomène en mouvement, et dont la réussite est balbutiante mais pas garantie : pour l’un l’arrivée des grands magasins et la libération de la femme et pour l’autre le syndicalisme.

Si vous souhaitez, vous pouvez même écouter gratuitement ce roman en le téléchargeant ici http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/zola-emile-au-bonheur-des-dames.html

Véronique De Laet

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Thérèse Raquin

Thérèse Raquin a été élevée par sa tante. Elle était une petite fille docile, sage et avec un tempérament très calme. Elle a grandi avec son cousin, jeune garçon chétif, souvent malade. Ils ont partagé le même lit durant leur enfance, ils le partageront toujours à l’âge adulte. Mais Thérèse se sent étouffée dans ce cocon familial, composé de sa tante et de son mari. Arrive Laurent, qui lui fera découvrir sa propre sensualité et son propre corps. Thérèse revit mais son mari devient de plus en plus une gêne. Les deux amants se jettent dans le meurtre comme ils se sont jetés dans la volupté. Avec détermination.

Thérèse Raquin est le premier livre composant la saga des « Rougon-Macquart ». On y découvre le style de Zola, tout en description. Description des lieux mais aussi des personnages et de leur pensée. On se sent envahi par elle et c’est elle qui nous fait tenir jusqu’au bout. Elle nous permet de comprendre la déchéance de cette famille. Ces descriptions donnent une force et un caractère à chaque situation. Elles nous permettent de nous créer des images. On ne s’identifie pas forcément aux personnages, on se sent plus comme une petite souris, qui regarde un spectacle. Zola permettait déjà à l’époque de pouvoir se sentir l’âme d’un paparazzi. Bien sûr, on finit par être curieux de la suite, à vouloir savoir ce qu’il va se passer, comment les personnages vont le vivre, jusqu’où ça peut aller. Il est impossible de s’arrêter en plein milieu. Il y a toujours quelque chose qui nous titille. Et juste pour ça, ce livre vaut le coup d’oeil et de lecture.

Ce livre a presque 150 ans et pourtant il est toujours d’actualité. Il parle d’amour avant toute chose. L’amour familial, l’amour sentimental, l’amour amical, l’amour charnel. Il ratisse une large palette d’un sujet universel. On se sent tous un peu concernés. Le vocabulaire, tout en finesse, nous rappelle tout de même que l’histoire se passe il y a plus d’un siècle. Mais il en devient également une sorte de roman historique. Il est intéressant de noter l’évolution que la société a pu connaître vis-à-vis, par exemple, du rituel du mariage ou de celui des convenances. Certes, on peut parler d’un décalage de générations, mais le fond en lui même nous appartient tous.

Outre cette sensation de tenir un livre d’images historiques dans les mains, « Thérèse Raquin » est proche d’une autobiographie. L’histoire de cette famille pourrait être réelle. Cette impression est bien sûr liée aux descriptions, au style narratif mais aussi parce qu’on a envie que cela devienne vrai. On a envie de croire que ce que l’on a lu a bel et bien existé, sinon on aurait eu l’impression d’avoir été mené en bateau. Après tout, on s’est attaché aux personnages et l’histoire est tellement bien posée, que l’on ne remet pas en doute sa véracité.

Avec Zola, on sait toujours plus ou moins où on va mettre les pieds. Les histoires sont toujours un peu sombres, elles pointent du doigt les défauts et les bassesses humaines. Et pourtant, il a le don d’apporter bien plus que cela. Ce ne sont pas que des histoires tristes ou sans lendemain. Elles tournent encore en tête après la fermeture du livre. Elles partent d’un groupe de personnes pour en toucher un plus grand nombre. Elles ont peut être tendance à généraliser la partie sombre de l’être humain. Mais après tout, c’est aussi ça qui nous rend humain.

Caroline Champion

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Germinal

Treizième volume de la saga, « Germinal » est une allusion au calendrier républicain, à la période de germination, au début du printemps, au renouveau, à l’espoir.

On se retrouve dans le Nord, là où Etienne Lantier arrive, chômeur après avoir frappé son employeur. La faim règne et la misère est partout. Les mineurs, et la famille Maheu qui l’héberge, sont exsangues : les enfants travaillent, les jeunes filles sans enfant sont exploitées et soumises à une forme de protecteur/amant. Alors qu’elle n’a pas 14 ans et « n’est pas encore une femme car elle n’a pas encore eu son flux », Catherine est en couple avec un ouvrier arrogant et bête, Chaval (remarquez aussi qu’on le décrit comme ressemblant à un cheval avec un visage longiforme…). Les gens partagent un lit entre deux personnes, le travail se prestant sur 2x12h. Le café est passé et repassé de jour en jour pour économiser, le « briquet » ou repas de midi est maigre pour des travailleurs de force.

Etienne dérange beaucoup : c’est « l’étranger ». D’abord il entre dans la famille, tombe amoureux de Catherine (même si on soupçonne qu’il a entre 25 et 30 ans déjà et elle 14), elle-même est sensible aux bonnes manières et à la douceur de ce dernier qui contrastent avec le rustaud Chaval… En prime, il vient avec ses idées de la ville et très vite, après un accident, il prend la tête de la première grève que connaît le Voreux, le puits de mine.

Mais le mouvement tourne mal : Maheu père est tué et la grève brisée. Un saboteur provoque un effondrement et Chaval, Etienne et Catherine sont parmi les prisonniers des boyaux souterrains. Etienne en vient à tuer Chaval et concrétise son amour pour Catherine avant qu’elle ne meure dans ses bras. Les quelques hommes sont sauvés… Mais Etienne ressort avec les cheveux complètement blancs.

Images très fortes, comme celle de l’homme qui arrive seul sur le chemin et remarque le côté glouton de la mine qui enfourne dans sa chaleur malveillante des milliers de mineurs… Celle qui clôt le roman d’ailleurs, avec un Etienne qui repart, sous les premières lueurs du printemps. Celle de la famille de bourgeois qui mangent autant que tous les mineurs réunis.

Zola arrive pour une fois à ce qu’on déteste vraiment les riches dans un roman. Souvent, leur sort n’est finalement pas plus enviable que celui des moins nantis mais aussi, ils sont souvent au moins aussi nombreux que pauvres des romans. Ici, il y a une cruelle opposition entre une toute petite famille sans souci d’argent et la masse misérable : dans les manières, les repas détaillés de part et d’autres, les ambiances. Tout est construit pour qu’on se révolte avec les mineurs.

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Zola est-il un romancier, un visionnaire ou un reporter ? Probablement les trois, car chacun des romans est savamment préparé par une foule d’informations et d’expériences pour le rendre crédible, comme un journaliste. Mais la structure est avant tout romanesque, avec les longues descriptions, des débuts et des fins particulièrement mises en scène et surtout des groupes socioculturels qu’il ne fréquente que de loin.

Et pourtant, souvent Zola présente de manière subtile des avancés sociales en cours : « Germinal » est organisé autour du syndicalisme, du socialisme et de la révolution postindustrielle. On l’avait vu aussi dans « Au bonheur des dames » voir la montée de la petite bourgeoisie et du commerce de grande taille, l’ascension sociale au mérite de Denise, l’héroïne. « La bête humaine » parlait du train, premier grand moyen de locomotion pour le public, « L’assommoir », en 1877, décrit les ravages de l’alcoolisme et en particulier de l’absinthe contre laquelle les ligues médicales et anti-alcool ont commencé à s’élever depuis 2 ans. « L’oeuvre » parle des peintres rejetés alors qu’on est en plein mouvement impressionniste (1874 et le livre est sorti en 1886, alors que finit la huitième exposition de ces peintures). Le dernier volume « Le docteur Pascal » (1893) sert à Zola pour étayer ses idées sur l’hérédité (Mendel est décédé en 1884).

Bref, Zola fut à la fois le plus grand portraitiste historique de son temps et un vecteur de tendances, voire un visionnaire selon les thèmes.

Véronique De Laet

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