Le projet artistique
En ce huis-clos aux allures de tragédie antique, à la lisière de deux mondes, les civilisations s’entrechoquent. Un cargo russe, de passage dans le détroit de Gibraltar, heurte une embarcation de clandestins marocains tentant de rejoindre l’Europe. Les marins du Caucase ne repêcheront que des cadavres et un seul survivant qui demeurera immobile sur le pont jusqu’au bout de cette longue nuit. A qui remettre ces corps ? Les marins contactent les autorités marocaines de Tanger, anglaises de Gibraltar et espagnoles de Ceuta… Personne ne semble en vouloir. Les autorités marocaines leur réclament des droits d’entrée pour le port de Tanger. De longues et absurdes négociations auront lieu jusqu’au lever du soleil…
Capitaine Rogatchev (à la radio) : C’est pour vous signaler que nous venons à l’instant de repêcher des cad… Je ne vous parle pas de pêcher des poissons ! Allô, Tanger ! Allô, Tanger ! … Oui, c’est ça, interdit de pêcher ici… Il n’y a plus de poissons, vous dites ? L’Europe a tout raflé… Je vois… C’est désolant, en effet… Mais, Monsieur, je ne vous parle pas de poissons, ce sont des cadavres que nous venons de repêcher à l’instant, des noyés, des clandestins, vos compatriotes, Monsieur… Dix… Allô, Tanger ! Vous m’entendez ? Allô, Tanger ! (…) La question, Monsieur, est que je voudrais vous remettre les corps avant de poursuivre ma route… Inchallah, vous dites ? Qu’est-ce que ça veut dire ? … Mais, Monsieur, je vous dis que… Pardon ? C’est la fête ? De quelle fête vous me parlez, Monsieur ? Je vous dis que j’ai des corps ici… Pardon ? Mouton ? Mouton, vous dites ? Allô ! Tanger ! Allô ! Tanger !
Le Mouton et la Baleine traite de la question de l’exil, de la recherche d’Eldorado avec une intense acuité et une émotion palpable. Sur scène, 9 comédiens et 7 musiciens se rencontrent pour faire vivre la fable et déborder la fiction.
Le travail d’ateliers
Fruit d’un travail en ateliers rassemblant des comédiens belges et des musiciens primo-arrivants, ce spectacle est un appel à la rencontre, qui dépasse le cadre de la scène. Un documentaire, réalisé durant les ateliers, ainsi que diverses rencontres avec l’équipe du spectacle alimenteront le débat autour de la question de la place de l’Autre et de l’Etranger dans nos sociétés.
Critique :
A peine arrivée dans la salle de représentations, je suis marquée par la densité de la scénographie! Une plateforme symbolise de façon très percutante un cargot qui a recueilli les cadavres d’hommes
et de femmes qui ont tentés, en vain, de franchir clandestinement le détroit de Gibraltar. La matière de cette plateforme permet de créer des jeux sonores et lumineux propices à plonger les spectateurs dans une atmosphère maritime angoissante. Les symboles abondent comme par exemple un amas de vêtements qui tapissent tout l’espace scénique tels des corps qui flottent inertes dans la vaste mer méditerranée. En outre les registres en nombre offrent une vraie richesse à la pièce! On passe d’une conversation téléphonique absurde digne d’un dialogue de sourds à des chants africains entraînants, des morceaux de slam, certes amateurs mais vrais, car interprétés par un des primo-arrivants invités à jouer dans cette pièce, , une scène qui relate de l’ « American Dream » de façon totalement risible, des monologues poignants, … Cette multitude stylistique fait résonner un cri face à l’égoïsme de chacun des personnages, la recherche d’un ailleurs, d’un meilleur ?, l’illusion et la désillusion qui en quelques instants ôtent la vie au pire ou la bouleverse à jamais au mieux.
Un thème d’actualité bien traité au point de nous saisir quelque soit nos parcours de vie !